Au cœur d'une mystérieuse vallée sous-marine, là où la lumière du soleil dessinait des arabesques chatoyantes sur les flancs des poissons arc-en-ciel, vivait une sirène curieuse et enjouée. Si son chant était connu de toutes les créatures des fonds marins, son esprit aventureux était un secret jalousement gardé. Pataugeant entre les récifs coralliens et les épaves de navires anciens, cette sirène rêvait de découvrir les secrets enfouis au-delà des mers, là où les eaux ne se faisaient plus bleues.
Il se murmurait, dans les creux des vagues et les murmures des coquillages, l'existence d'une demeure mystérieuse. Une maison pas comme les autres, posée délicatement sur le plancher océanique. Elle avait la particularité d'être imbriquée à l'envers, comme un reflet troublé dans l'eau, avec des fenêtres qui scintillaient telles des joyaux des profondeurs.
La sirène, poussée par la curiosité, décida d'explorer cette étrange maison. Alors qu'elle nageait à travers l'entrée, elle fut saisie par la richesse de l'intérieur. Des murs tapissés de plantes aquatiques aux couleurs vibrantes, un plafond en coquilles nacrées, et un plancher aussi clair que le sable fin des plages lointaines.
— Voilà un endroit qui pourrait cacher mille et un secrets! s'exclama-t-elle.
Dans le foyer, un grand manteau de cheminée dominait la pièce, et même si aucun feu ne pouvait brûler sous l'eau, la chaleur de l'accueil était palpable. C'est alors que, posée sur un portemanteau de corail, la sirène vit une cravate. Un accessoire étrange, tissé de lumière et de motifs chatoyants, qui semblait attendre son propriétaire.
— Quelle excentricité que de porter une cravate sous l'océan! pensa-t-elle.
À peine le temps de s'interroger plus avant qu'un bruit de pas lourds résonna dans une autre pièce. La sirène, surprise, se cacha derrière une algue gigantesque. Un personnage émergea, aussi inattendu que la demeure elle-même : un troll des profondeurs. Ses yeux, semblables à des opales, luisaient de malice, tandis que sa peau évoquait les rochers recouverts de mousse.
— Ah, cette cravate ! Toujours à glisser de son crochet ! s'exclama-t-il en apercevant la cravate orpheline.
Avec un soin surprenant pour une créature de sa stature, le troll ajusta l'objet autour de son cou, ce qui lui donnait une allure à la fois comique et charmante.
— J'aperçois une nageoire derrière l'algue là-bas, constata-t-il, sans s'émouvoir le moins du monde.
La sirène, comprenant qu'elle avait été découverte, sortit lentement de sa cachette et se présenta avec la douceur d'une brise marine.
— Oh, je me suis laissée entraîner par ma curiosité… Je n'ai pas pu m'empêcher d'explorer cette maison incroyable. Je suis…
— Nul besoin de t'excuser, interrompit amicalement le troll. Je suis ravi de faire ta connaissance. Sais-tu, les visites sont rares dans ces recoins. Les histoires font peur aux poissons et les trésors n'intéressent guère les crevettes.
La sirène, rassurée par l'accueil chaleureux du troll, osa lui poser la question qui brûlait ses lèvres depuis qu'elle avait posé les yeux sur ce col orné d'une cravate.
— Pourquoi un troll comme toi, résidant dans les profondeurs de la mer, possèderait-il une cravate ?
Le troll esquissa un sourire amusé et prit une pose réfléchie.
— Ah, cette cravate est le fil de mes avantures terrestres. J'ai bien été, un temps, hôte de la terre ferme, où les cravates sont signe de distinction. Mais l'appel des fonds marins fut plus fort. J'ai donc apporté avec moi ce souvenir.
La sirène écoutait, captivée par l'idée d'un troll parcourant la terre.
— Et maintenant, que fais-tu ici, dans cet endroit renversé ? demanda-t-elle.
— Je construis, je crée, je compose. La maison est mon atelier, l'écho de mes rêveries. Tiens, viens voir par ici !
Le troll l'emmena dans une salle où des sculptures de corail ornées de pierres précieuses s'alignaient le long des murs.
— C'est ma galerie des merveilles. Chaque pièce raconte une histoire, un souvenir d'un monde au-dessus ou en dessous des vagues.
La sirène, fascinée, toucha du doigt une sculpture représentant une constellation.
— Cette maison est un carrefour des mondes, un abysse de beauté, murmura-t-elle.
Le troll s'inclina légèrement en tenant les pans de sa cravate dans un geste de fierté humble. Il proposa ensuite de lui montrer le joyau de la maison, le cœur de son univers.
La salle suivante était baignée d'une lumière douce, provenant d'une source indéfinissable. Des partitions de musique flottaient en l'air, prises dans le courant marin, une harmonie visuelle se mêlant à la mélodie qui commençait à emplir l'espace.
— Je suis musicien, expliqua le troll, et je compose des symphonies inspirées par la mer, ses mystères et ses balades. Les gens disent que les trolls sont rustres et sans finesse, mais regarde-moi, sirotant des nuées de bulles mélodiques, le col bien ajusté, défiant les idées préconçues.
La sirène, émerveillée par les révélations de son nouvel ami, demanda avec une pointe de timidité si elle pouvait l'accompagner de son chant.
— Oh, cela serait un honneur, la fragilité d'une voix se mêlant à l'immensité d'un orchestre sous-marin, répondit-il avec enthousiasme.
Alors, pendant que le troll jouait de ses instruments façonnés dans les trésors de l'océan, la sirène chanta. Leurs arts fusionnèrent dans un ballet aquatique de notes et de mélodies, attirant les créatures des environs dans un moment d'unité sempiternelle.
C'est ainsi que naquit, dans le cœur des vagues et le secret d'une maison inversée, l'amitié entre une sirène et un troll. Une amitié aussi profonde que les abysses, aussi belle que la cravate du troll, symbole d'un monde où l'étrange et le merveilleux se rencontrent.